Philip Roth nous propose avec cette autobiographie un tête-à-tête déroutant avec son héros favori, manière originale de faire un bilan et de se confronter à son travail d'écrivain à travers la relation complexe entre la fiction et le réel.
L'écrivain à New-York
Au-delà de la succession événementielle des petits faits de la vie, elle n’apprend pas grand-chose sur la genèse de ses personnages, sur ce qui fait que tel personnage ou telle situation naisse et prenne corps par les mots et les images qu’ils suscitent. Ici en tout cas, dans le combat de mots entre Nathan Zuckerman et son créateur, c’est ce dernier qui aura le dernier mot, celui qui a le pouvoir de changer le parcours de sa créature, ou même son identité comme un manipulateur, un apprenti sorcier.
Philip Roth et l'ombre de Kafka
« C'était un livre dont le propos n'était pas tant de me "libérer" de ma judéité ou de ma famille (ce que beaucoup de lecteurs croyaient, convaincus par le déballage de Portnoy's Complaint, que l'auteur devait être en mauvais termes avec l'une ou l'autre) que de me libérer de modèles littéraires d'apprenti, particulièrement de la redoutable autorité universitaire de Henry James, dont le Portrait of a Lady avait été virtuellement un guide au moment des premiers jets de Letting Go, te de l'exemple de Flaubert, dont la distante ironie à l'endroit des désillusions, désastreuses d'une provinciale m'avait conduit à feuilleter obsessionnellement les pages de Madame Bovary pendant les années où je cherchais le perchoir d'où observer les gens dans When She was good. »
Quand Philip Roth se met en scène dans ses romans (extrait d'une interview de lesinrocks.com)
" Quand je me fais apparaître dans Patrimoine en 1991, par exemple, c’est parce qu’il s’agit d’un livre sur la mort de mon père, sur ma famille, pas d’un livre de fiction. Donc il me semble normal d’y apparaître en tant que moi-même. Dans Tromperie en 1990, le sujet est l’adultère, et je m’interrogeais sur la façon d’apporter quelque chose de neuf à un tel sujet qui ne choque plus personne. Alors j’ai voulu rendre ce sujet "inconfortable", le restituer tel qu’il est pour moi… Donc aucun des personnages n’a de nom, sauf moi. Je me suis inspiré d’écrivains européens, tel Gombrowicz, qui fait apparaître un certain Witold dans La Pornographie et lui fait jouer le rôle de voyeur, pour amplifier la chute morale. La situation morale du livre me dicte de m’y faire apparaître ou pas.
Dans Le Complot contre l’Amérique en 2004, j’utilise ma famille et donc mon nom, car l’idée consistait à changer l’histoire des Etats-Unis – Roosevelt perd les élections, et un type d’extrême droite les gagne. Ça allait donc changer quelque chose, mais pour qui ? J’ai pensé : pour ma famille, qui est juive. D’un côté, tout était inventé, et pour contrebalancer ça, tout se fondait sur une certaine réalité. Je me suis également introduit dans Opération Shylock pour des questions de méthode. Car la méthode, c’est tout. Il faut se demander "Comment dire une histoire ?". Cela doit être à chaque fois nouveau. Et si ça ne l’est pas aux yeux du monde, ça doit l’être au moins pour moi. "
Notes et références
[3] « Peter Tarnopol » est le héros de son roman « Ma vie d’homme » et des aléas du mariage
[4] Le cycle « David Kepesh » comprend « Le sein », « Professeur de désir » et « La bête qui meurt »
[5] Voir aussi « Patrimoine » paru en 1991 qui conte la dernière année de la vie de son père Herman