Roissiat Culture & littérature

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Stendhal et la découverte de l'Italie

Stendhal et Angela Pietragrua

« Un voyage pour être instructif, doit être une suite de jugements sur les divers objets rencontrés. »

Lettre à sa sœur Pauline, août 1801

 

1- Un premier voyage -- 1800-1801

Le jeune Henri Beyle a aussi bien l'impression d'étouffer dans le conformisme grenoblois que dans un Paris qu'il trouve plein de « vanité et d'artifice. »

En 1800, ses cousins Daru [1] lui offrent l'occasion de rejoindre l'armée de Bonaparte en Italie. C'est son premier séjour, le début d'un grand amour avec ce pays. (qui n'est d'ailleurs pas encore un état) Il a 17 ans, pour lui c'est l'aventure.  Ce qu'il note ainsi : « Je ne dois donc pas me plaindre du destin. J'ai eu un lot exécrable de 7 à 17 ans [2] mais depuis le passage du mont Saint-Bernard... je n'ai plus eu à me plaindre. » Son cousin Martial Daru l'accompagne le 10 juillet sur la corsia del Giordano. Si pour lui Milan est « le plus beau lieu de la terre, » c'est aussi à cause de la belle Angela Pietragrua, même s'il a quelque réticence à l'évoquer plus directement, écrivant dans la Vie de Henri Brulard que « l'on gâte des sentiments si tendres à les raconter dans le détail. »

 File:Milano brera cortile.jpg        

Milan Le palais Brera                                                      Le palazzo Moriggia                                 

 

Si « Milan est une fête, » malgré la guerre qui continue en cette année 1800, pour Henri la ville est synonyme d'Angela la sulfureuse, qui le fascine plus que les soirées à la Scala, les promenades sur le Corso ou les succulents cafés de la Casa dei Servi. Par la grâce de ses cousins Daru, le voilà nommé sous-lieutenant au 6ème dragons, superbe dans son uniforme vert aux revers écarlates, complété d'un long manteau blanc, d'un casque doré orné d'une crinière noire. Il porte beau mais le soldat Beyle n'est pas très doué pour l'art militaire, piètre cavalier, médiocre sabreur -mais plutôt bon tireur- et de plus rétif à toute discipline. En fait de campagne d'Italie, le militaire se promène beaucoup dans la région des lacs,  en profite pour visiter Brescia, Mantoue, Vérone et une parie de la Toscane.

 

Décidément le jeune Beyle, malgré ses protecteurs, n'est pas fait pour la vie militaire et le Piémont où il est alors cantonné, est par trop différent de sa chère Lombardie. A la fin de l'année 1801, il est de retour en France, abandonnant la musique de Cimarosa... et sa très chère Angela.

                  La

                        Milan, piazza dei Mercanti,  La "Loggia degli Osii "

 

2- Le voyage de 1811

« Mon but en voyageant n'était pas  d'écrire, mais la vie de voyageur rompant toutes les habitudes, force est bien de recourir  au grand dispensateur de bonheur... »

 

Henri Beyle a pris peu à peu du galon, nommé auditeur au Conseil d'État et inspecteur du mobilier impérial. Il profite d'un congé de deux mois -prolongés ensuite d'un mois- pour filer en direction de l'Italie. Le samedi 7 septembre 1811, il arrive à Milan « où s'est passée l'aurore de ma vie » écrit-il avec emphase. Avec un immense bonheur, il y retrouve sa chère Angela Pietragrua, « je ne peux faire un pas dans Milan sans reconnaître quelque chose d'elle » ajoute-t-il. Elle est devenue son idée fixe. Quand il la revoit, il trouve immédiatement « toujours le grandiose qui est formé par la manière dont ses yeux , son front et son nez sont placés. » Il lui déclare en italien : « Angiolina, ti amo in ogni  momento ! » (Petite Angela, je t'aime à tout instant)

 

Mais les retrouvailles sont fraîches et il part pour Ancône revoir Livia Bialoviska qu'il connut à Brunswick pendant "son périple allemand" [3] mais son cœur est décidément resté à Milan. De retour auprès de sa belle, il visite avec elle le palais Brera et sa magnifique collection d'art. Amour plus cérébral que  physique, écrira-t-il, car « la cristallisation, c'est l'entrée en pathétique. »  [4]

Sa volonté, son entêtement seront enfin récompensés et Angela finit par lui céder « le 21 septembre "at" onze heures et demi , je remporte cette victoire si longtemps désirée » écrit-il dans son Journal.

Après les événements milanais, la bougeotte le reprend, il passe par Bologne qui ne l'émeut guère, par Florence où il cherche la maison d'Alfieri, visite la palais Pitti qu'il trouve surfait mais est conquis par la vue qu'offrent les jardins Boboli. Décidément, son humeur chagrine ne le porte pas à l'indulgence et à Rome il ira surtout admirer les loges de Raphaël. [5]

Logge de Raphael, grotesques                           

Loges de Raphaël  :  détail des “grotesques” et Adoration du veau d’or   

 

Le 8 octobre, il  est à Naples [6] où de son hôtel, il peut admirer la masse majestueuse du Vésuve où il ira ensuite faire une randonnée mais Pompéi le déçoit et il s'ennuie à l'opéra San Carlo qui donne une œuvre de Spontini. Énorme déception  quand il revient à Milan le 22 octobre et qu'il s'aperçoit que la belle Angela est partie du côté de Varèze... avec son mari. Il y court mais après une scène de vaudeville, il revient errer dans Milan entre l'auberge della Città et le café san Quirico.Il ne perd pourtant pas son temps, ruminant l'idée d'écrire un livre sur la peinture italienne. Du palais Brera à l'Ambrosienne, il  hante les œuvres de Giotto, Mantegna, Vinci, Le Titien qu'il mettra du temps à goûter, Guido Reni et surtout Le Corrège qu'il adore.

       Histoire De La Peinture En Italie de Stendhal

Stendhal : Histoire de la peinture en Italie                                   édition de 1925

 

De toute façon, son congé se termine bientôt et il doit regagner la France, aussi note-t-il le 6 novembre « je l'ai quitté près de l'arcade de la place des Marchands... » Il repart pour Paris en passant par Grenoble sa ville natale pour embrasser sa sœur, sa chère Pauline.

La revit-il ? L'épilogue est conté par Prospère Mérimée, ami exigeant, qui écrivit un livre au titre transparent "H. B." [6] où il écrit  qu'une ultime rencontre eut lieu lors d'un autre voyage de Stendhal en Italie, le 15 novembre 1815 qui signa leur rupture définitive.

Mais écrit Jean Lacouture en guise de conclusion de cet épisode, « il a approfondi sa liaison amoureuse avec avec ce morceau de ciel (ce pezzo di cielo) qu'est l'Italie à la veille du Risorgimento. » [7]

  

La bibliothèque ambrosienne

 

3- Le syndrome de Stendhal (ou « syndrome de Florence »)

Cette manifestation psychologique est appelé ainsi en référence à l'expérience vécue par Stendhal lors de son voyage en Italie, à l’étape de Florence, en 1817. Il écrit alors :

« J’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux Arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j’avais un battement de cœur, la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber. »

— Rome, Naples et Florence, éditions Delaunay, Paris - 1826, tome II, p. 102

 

Stendhal ne s'y attendait absolument pas et, s’asseyant sur un banc de la place, il se mit à lire un poème pour se remettre de ses émotions. Il s'aperçut que ses visions empiraient, à la fois épris et  malade de tant de profusion, de manifestations de la beauté artistique.

Le facteur déclenchant de la crise est lié à la visite de l’un des 50 musées de la ville. Le visiteur semble se rendre compte du sens profond d'une œuvre, ressentant très fortement l'extrême émotion qui s’en dégage et qui transcende la vision qu'il a de l'œuvre. Ce phénomène peut déclencher de l'agressivité ou même une véritable crise d'hystérie.

 Florence_offices ponte vecchio corridor vasari.jpg

Florence : Les Offices & le Ponte Vecchio

 

Notes et références

[1] Ses cousins Daru sont bien en cour auprès du Premier Consul (puis de l'Empereur), l'aîné Pierre est de l'entourage de Bonaparte, "secrétaire général à la guerre" et sera fait comte d'empire 

[2] À 7 ans, il perd sa mère, ce qu'il vit très mal et reportera son amertume contre son précepteur l'abbé Raillane. A l'école centrale de Grenoble, il passe pour un élève cabochard et brillant

[3] Livia, veuve d'un officier polonais, a été sa maîtresse lors de son séjour à Brunswick puis est revenue chez elle à Ancône

[4] Revenant sur ce thème, il en donnera cette définition : « l'acte de folie par lequel on voit toutes les perfections dans l'objet  qu'on aime s'appelle  la cristallisation. » Définition qu'il dit devoir à son amie Ghita Gherardi dans son livre Rome, Naples et Florence  et qu'il reprend ensuite dans son essai De l'amour

[5] Au Palais du Vatican, le pape Jules II fait appel à Raphaël, après la mort de Bramante, pour construire des loges (loggias)  sur la façade Est du Palais apostolique.

[6] Prosper Mérimée, "H.B." suivi de Lettres libres à Stendhal, éditions Slatkine, 1998

[7] Voir Jean Lacouture, "Stendhal, le bonheur vagabond", éditions Le Seuil, 2004

 

Voir aussi mes autres articles sur Stendhal

* Stendhal "un européen absolu" et Stendhal et la campagne de Russie

* Stendhal et Armance et Stendhal et Lamiel

* Stendhal consul à Civitavecchia -- Stendhal et Lucien Leuwen

* Stendhal Mémoires d'un touriste

Vie de Henri Brulard et Stendhal à Lyon, C. Broussas

 

Références bibliographiques

* Vie de Henry Brulard et Souvenirs d'égotisme, œuvres autobiographiques inachevées centrées pour le premier sur son enfance et le second  sur sa vie à Paris entre 1821 et 1830.

* Jean Goldzink, "Stendhal l'Italie au cœur", Gallimard, "Découvertes", 1992

 

         <<< • • Christian Broussas • Stendhal & l'Italie • °° © CJB  °° • • 01/2014 >>>

 



07/01/2014
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