Stendhal et la campagne de Russie
Personne, excepté Michel Crouzet, n'a saisi l'importance de l'expérience qu'a vécue Stendhal pendant la campagne de Russie et que lui-même n'a d'ailleurs guère évoquée, y compris dans son œuvre. [1]
Le 28 août 1812, il se trouve vers Moscou à Slaskovo d'où il écrit : « Je suis au pied d'un bouleau mort, dans un petit bois plein de poussière... voilà un mal-être complet. » Il fait l'estafette pour le compte de l'Empereur mais le parcours en temps de guerre et par des routes souvent défoncées n'est pas une promenade de santé, « les doux effets du pillage commencent à se faire sentir, » précise-t-il. [2]
La traversée de la Bérézina en 1812 (Huile de Suchodolski) La retraite de Russie de Northern
Le périple continue, en août il passe la Bérézina alors rivière fort sage, sans se douter bien sûr que dans le froid glacial de l'hiver il en va tout autrement, arrive à Boyarinkov au quartier général de l'armée et entre à Moscou après les rudes combats de la Moskova. Moscou flambe, les russes allument constamment des feux, il devient très difficile de se loger mais il trouve finalement un logis chez des amis à l'Académie de médecine rue Rodjestvenska. Il est au palais palais quand il doit en urgence prêter main forte pour contrer l'avancée du feu. [2]
Timbre russe commémorant la bataille de Smolensk
Quand l'empereur donne le signal de la retraite après un mois passé à Moscou, il se replie en catastrophe vers Smolensk, harcelé par les cosaques, écrivant à la comtesse Daru sa cousine [3] « nos peines physiques de Moscou à ici ont été diaboliques... j'en gèle encore. » Rien de plus romantique, de plus tragique que cette retraite où Stendhal fut exemplaire comme le rappelle Prosper Mérimée qui écrit que Stendhal [4] « fut du petit nombre de ceux qui, au milieu des misères que notre armée eut à souffrir dans la désastreuse retraite de Moscou, conservèrent toujours leur énergie morale, le respect des autres et d'eux-mêmes. » Une farouche volonté lui permet de rejoindre Vilnius puis le port de Königsberg pour s'embarquer et rentrer en France.
Son cousin Pierre Daru & sa femme la comtesse Alexandrine Sa sœur Pauline
Contrairement à son cousin Gaëtan Gagnon qui y laissa la vie, il écrit « je me suis sauvé à force de résolution... J'ai souvent vu de près le manque total de forces, et la mort. » C'est un homme différent qui sort de cette épreuve. L'expérience engrangée dans cette éminente tragédie de 1812 ne l'entraînera pas à écrire son Guerre et paix, trop douloureuse sans doute pour être traduite sur un plan littéraire. [5]
Il aura cette réflexion notée dans son Journal : « La politesse des hautes classes de France... proscrit toute énergie et l'use si elle existait par hasard. » De son périple russe, il se remet doucement en ce début d'année 1813, y ayant même égaré le manuscrit -qu'il devra réécrire- de son Histoire de la peinture en Italie.
Notes et références
[1] Voir la contribution de Michel Crouzet aux actes du colloque UNESCO "Stendhal, campagne de Russie" publié en 1994
[2] Les citations de cet article sont pour la plupart extraites de son Journal et des Lettres à sa sœur Pauline, version éditions Le Seuil, 1994
[3] Celle qu'il appelle Sa "chère madame Palfy"
[4] "Stendhal" par commodité puisqu'il est encore monsieur Henri Beyle et n'a pas encore choisi ce nom de plume qui est curieusement celui d'un village de Saxe nommé "Stendal" où il est passé quand il sillonnait l'Europe avec l'armée d'Empire
[5] « La médiatisation de l'horreur par la littérature, Il faudra attendre Zola et le XXè siècle pour l'opérer » écrira Jean Lacouture dans son livre "Stendhal, le bonheur vagabond", Le Seuil, 2004
Voir aussi mes autres articles sur Stendhal
* Stendhal "un européen absolu" et Stendhal et la découverte de l'Italie
* Stendhal et Armance et Stendhal et Lamiel
* Stendhal consul à Civitavecchia -- Stendhal et Lucien Leuwen
* Stendhal Mémoires d'un touriste
* Vie de Henri Brulard et Stendhal à Lyon, C. Broussas
Références bibliographiques
* Vie de Henry Brulard, œuvre autobiographique inachevée où il y évoque ses aspirations, son enfance, ses parents, ses amours et ses études à l'école Centrale de Grenoble;
* Souvenirs d'égotisme, œuvre autobiographique inachevée où Stendhal y raconte sa vie à Paris après la chute de Napoléon, de 1821 à 1830.
* Mc Watters, "Chroniques pour l'Angleterre", éditions Université de Grenoble, 1980, qui traite du Stendhal échotier dans la presse anglaise
<<< • • Christian Broussas • Stendhal & la Russie • °° © CJB °° • • 01/2014 >>>
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