Marguerite Yourcenar à Saint-Jans Cappel dans le Nord
« Les plus forts souvenirs sont ceux du Mont-Noir parce que j’ai appris là à aimer tout ce que j’aime encore : l’herbe et les fleurs sauvages mêlées à l’herbe ; les vergers, les arbres… »
Marguerite Yourcenar, entretien avec Matthieu Galley. [1]
La villa "Marguerite Yourcenar" au Mont-Noir et l'entrée du musée à Saint-Jans Cappel
Une petite maison de briques rouges du côté de Bailleul à une trentaine de kilomètres de Lille, exactement dans le bourg de Saint-Jans Cappel : le musée dédié à Marguerite Yourcenar. C’est ici que se situe le domaine du Mont-Noir, dans cette région de la Flandre française où elle passa dans son enfance toutes les périodes estivales.
C’est un petit musée composé de trois salles, ouvert en 1985, que Marguerite Yourcenar visita le 3 mai 1986, l’année qui précéda sa disparition. Un livre de photos en perpétue le souvenir. Outre son antique machine à écrire, on y découvre le foisonnement de son arbre généalogique qui constitue l’essence de son triptyque autobiographique Le labyrinthe du monde [2] d’où elle tira son anagramme Yourcenar qui, à une lettre près, vient de son patronyme Crayencour. Le musée rassemble également des photos, œuvres et documents sur son enfance ainsi qu’une reconstitution du bureau qu’elle avait dans sa maison américaine de Petite Plaisance. Un sentier de randonnée pédestre de 6 kilomètres, le « sentier des jacinthes » relie le musée à la Villa Marguerite Yourcenar.
Carte : de St-Jans Cappel au Mont-Noir
Du musée, on peut ainsi se projeter jusqu’au Mont-Noir, vaste domaine avec son parc verdoyant de 8 hectares, dont les dépendances et le château où elle vécut furent détruits pendant la guerre en 1918 par des bombardements. Aléas de l’histoire, aléas des parcours familiaux, ce qu’elle a appelé « les extraordinaires carambolages du hasard. » [3] L’immense parc abrite maintenant la villa du Mont-Noir avec ses airs de petite villa Médicis, qui reçoit chaque année des écrivains qui peuvent ainsi venir se ressourcer dans la sérénité du lieu. Dans une lettre de 1966, Marguerite Yourcenar se souvient qu’on disait que le Mont-Noir aurait eu cent chambres [4] alors qu’elle n’en comptait dans son souvenir qu’une trentaine… « En trichant un peu… on arriverait à une quarantaine de chambres, tout au plus. Ainsi grandissent les légendes (...). »
Le bureau et la machine à écrire
C’est en 1939 pour fuir la montée du nazisme que Marguerite Yourcenar partit pour les Etats-Unis, finit par s’installer dans l’état du Maine [5] tout en continuant à voyager de par le monde. C’est lors d’un ce ces voyages, en revenant sur les lieux de son enfance, qu’elle émit sans doute sans vraiment, y croire ce vœu qui pourtant allait se réaliser, « si j’avais vingt ans de moins, je fonderais une réserve naturelle au Mont-Noir où j’ai passé une grande partie de mon enfance. » Ecologiste militante, elle vint présider à Bailleul en 1982 le lancement de la Fondation Marguerite Yourcenar dont l’objectif est la protection de la flore des Monts de Flandre sur les 90 hectares du site.
Sentier des Jacinthes entre musée et villa « Mais que voudrais-je revoir ? Peut-être les jacinthes du Mont-Noir. »
L'évolution qu'elle constate vers une société productiviste plus cynique l'a toujours préoccupée et elle a souvent dénoncé cette dérive sociétale. Dans "Souvenirs pieux", le tome I de ses mémoires, [2] elle écrit que « les anciens... ne déversaient pas (dans les rivières) des tonnes de sous-produits nocifs et même mortels. [...] Ils ne se sustentaient pas d'aliments dénaturés à l'intérieur desquels circulent d'insidieux poisons. [...] Nous avons créé un monde où les animaux et les arbres ne pourront plus vivre... (ayant) une existence d'insectes s'agitant dans leur termitière... » [6]
Le tilleul, symbole de sa fondation Archives du Nord, tome II de ses Mémoires
La fin du Mont-Noir
C'est en 1916 que Marguerite Yourcenar et son père Michel, revenant d'Angleterre et réfugiés à Paris, reçoivent des informations et des photographies de leur propriété du Mont-Noir. Elle en parle en ces termes dans le tome III de ses Mémoires "Quoi? L'éternité" dans le chapitre "La terre qui tremble" :
« Le château sur sa haute colline avait servi de poste d'observation à un état-major britannique; il fut bombardé plusieurs fois. la bâtisse à tourelles Louis XIII, éventrée, prenait pour la première fois l'aspect d'une sorte de demeure historique; sa ruine au moins était belle. Mais tragiquement beaux étaient surtout les grands sapins étêtés, ébranchés, qui m'avaient ombragée naguère quand j'essayais de me mêler aux jeux des lapins, sûrement morts eux-aussi. Debout, tendant parfois un ou deux tronçons de branchages sans feuilles, les sapins semblaient à la fois des martyrs et leur propre croix.»
Notes et références
[1] Voir ma fiche de présentation du livre d'interviews de Matthieu Galey Les yeux ouverts, éditions Le Centurion, 1980, 336 pages, isbn : 2-227-32022-2
[2] Pour une présentation générale de ses mémoires en 3 volumes "Le Labyrinthe du monde", voir ma fiche Le labyrinthe du monde
[3] Cité par sa biographe Josyane Savigneau dans son ouvrage paru en 1990 chez Gallimard
[4] « comme l’antique Thèbes avait cent portes ! » précise-t-elle
[5] Voir ma fiche de présentation Marguerite Yourcenar aux Etats-Unis à Petite Plaisance dans l'état du Maine
[6] Voir Souvenirs pieux, NRF/Gallimard, pages 80/81, 1974, isbn 2-07-028971-0
Voir aussi
* La fiche synthèse du site Marguerite Yourcenar que j'ai créé pour donner un aperçu exhaustif de son parcours et de son œuvre.
<<< • • Christian Broussas • Yourcenar Mt-Noir • °° © CJB °° • • 01/2014 >>>
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