Roissiat Culture & littérature

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Marguerite Yourcenar Souvenirs pieux

Référence : Marguerite Yourcenar, "souvenirs pieux", Le labyrinthe du monde, tome I, éditions de Monaco, 1973, Gallimard, 1974

« Je comprends si bien le rien que nous sommes dans la succession des siècles. » p 164

« Le privilège du romancier authentique est d’inventer en s’appuyant seulement ça et là sur son expérience à lui. » p 285

 

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     Marguerite avec Barbe sa nourrice

 

La naissance de Marguerite Yourcenar à Bruxelles en juin 1903 dans la maison familiale du 193 avenue Louise est marquée par deux événements d’importance : sa mère Fernande décède rapidement des suites de l’accouchement et son père Michel décide alors de vendre la maison. Désormais, ils habitent à Lille rue Marais et la mauvaise saison dans le domaine du Mont-Noir à Saint-Jean Cappelle (ou Saint-Jan Cappel )à une encablure de la frontière belge.

 

Le site de sa naissance, commente-t-elle, « lui-même était à peu près fortuit, comme nombre d’autres choses allaient l’être au cours de mon existence… » Pense-t-elle à sa mère quand elle écrit que « les portes de la vie et de la mort sont opaques, et elles sont vite et bien refermées. »  Elle se demande ce qu’eussent été ses relations avec cette mère inconnue sans se faire beaucoup d’illusions. [1] 

 

Le Hainaut, berceau de sa famille, c’est déjà à l’époque l’industrialisation dans toute sa laideur, les villes tristes et sans charme de Marchienne et de Flémalle où se trouvent les châteaux de la famille. De la tournée de ces châteaux qu’elle entreprit plus tard, elle ne retrouvera guère que Marchienne et celui de La Boverie à Suarlée, le château de ses grands-parents maternels Arthur et Mathilde. Les autres ont été rasés, disparu comme celui du Mont-Noir anéanti par la guerre en 1918.

 

Son grand-père Arthur préfère son domaine de Suarlée vers Namur et déplore déjà les méfaits du progrès sur l’environnement, « le Hainaut dévoré par l’industrie… Marchienne transformée en terre noire » et fustige tous les comptables du développement industriel. « Ceux qui sauront qu’on ne détruit pas la beauté du monde sans détruire aussi la santé du monde ne sont pas encore nés » commente-t-elle.

 

Toutes ces vieilles lignées dit-elle, ont eu une politique de mariages, pour gravir les échelons sociaux, certaines chassant dans le cercle étroit de leurs relations, d’autres recherchant du solide, des alliances moins nobles mais plus rentables.

 

             

 

Ses grands-parents Arthur et Mathilde, « ce monsieur en redingote et cette femme en crinoline, » sont des représentants typiques de la bourgeoisie d’alors, catholiques pratiquants, religion dévoreuse de dimanches, conservateurs au respect distant pour les institutions, d’où ces cartons pour honorer un défunt, qu’on appelle des Souvenirs pieux qui ont donné leur nom à son livre de souvenirs. [2] Mais il y a là beaucoup de paraître et l’éducation religieuse reste bien sommaire et elle porte un regard lucide sur la mentalité de la bourgeoisie de cette époque.

 

A travers l’image de ses aïeux, Marguerite Yourcenar la décrit comme n’ayant guère l’esprit public, encore moins de goûts artistiques, professant une cohésion de façade où « les différents n’éclatent que sur des questions d’héritage laissé indivis ou de droits de chasse. » [3] Pour ses parents Fernande et Michel, vers 1900 la douceur de vivre est encore réalité, tour d’Europe dans des hôtels de luxe, hanter les villes d’eau et leurs casinos dans des univers confinés… et même flâner ans ce qui était alors un charmant petit village bavarois prisé des peintres et qui s’appelle Dachau

 

C’est aussi la génération qui, sans s’en apercevoir, est sur le déclin, dernière génération « à la maternité surabondante, » où « rien n’aboutit dans un monde où tout bouge. » Finis… « ces aises d’une civilisation aux ressorts bien huilés, à la surface comme recouverte d’une exquise patine, qui constituent à proprement parler la douceur de vivre. » p148

 

Marguerite Yourcenar s’est beaucoup intéressée à ses grands-oncles, Rémo Pirmez, intellectuel attachant qu’elle appelle « l’âme intarissable » qui s’est suicidé, et son frère Octave qui connut un petit succès d’estime comme écrivain, va-et-vient entre la vie d’Octave et les souvenirs de sa petite nièce Marguerite, ce qu’elle nomme « les jeux de miroir du temps. » 

 

Elle a pour lui une grande tendresse, écrivant que « comparée à l’exhibitionnisme maladif de notre époque, la réserve… d’Octave a pour moi du charme. » Vision sévère de son époque, renforcée par ce jugement : « Où qu’on aille, le mensonge règne. La forme qu’il prend au XXème siècle est surtout celle, voyante et tapageuse, de l’imposture. Celle du XIXème siècle, plus feutrée, a été l’hypocrisie. » p193 Elle qui pensait dans sa jeunesse… « que la réponse grecque aux questions humaines était la meilleure sinon la seule. » p212

 

Son grand-père Arthur fut de plus en plus handicapé par la maladie qui devait l’emporter, son univers se rétrécissait à mesure que ses capacités physiques diminuaient, ce qu’elle traduit en écrivant que « on a peut-être pas assez noté que le pire effet de toute maladie est la perte graduelle de la liberté. » 

 

                 

 

Commentaires et citations

* « Le véritable lieu de naissance est celui où l’on a porté pour la première fois un coup d’œil intelligent sur soi-même : mes premières patries ont été les livres. »

extrait de « Mémoires d’Hadrien »

 

Notes et références

[1] Elle écrit aussi que « les flammes… n’atteignent pas plus les recoins d’ombre que la lueur de notre cerveau n’élucide tout l’inconnu et tout l’inexpliqué. » p 106
[2] Voir l’exemple du souvenir pieux de sa grand-mère Mathilde page 130
[3] Une caste qui ignore le peuple, qui l’effraie même quand elle s’inquiète : « Sait-on jamais à quoi s’attendre quand la populace se mêle de politique. »

 

Bibliographie

* Marguerite Yourcenar, Le Labyrinthe du monde, tome 1 : Souvenirs pieux, Gallimard, collection Folio, décembre 1998, 370 pages

* Marguerite Yourcenar, Le Labyrinthe du monde, tome 2 : Archives du Nord, Gallimard, collection Folio, décembre 1998; 372 pages

* Marguerite Yourcenar, Le Labyrinthe du monde, tome 3 : Quoi ? L’Éternité, Gallimard, collection Folio, mai 1990, 340 pages

* Josyane Savigneau,  Marguerite Yourcenar : L’Invention d’une vie, Gallimard, collection Folio, juin 1993

 

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05/03/2014
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