Roissiat Culture & littérature

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Marguerite Yourcenar Quoi ? L'éternité

Référence : Marguerite Yourcenar, "Quoi ? L'éternité", Le Labyrinthe du monde tome 3 / Récit biographie,éditions  Gallimard, 360 pages, décembre 1988, Isbn  978-2-0701-8982-3
 
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Couverture avec le portrait de sa mère         La jeune ado
 
L'éternité représente en quelque sorte « cette porte entrouvre (qui) donne à la fois sur la plus concrète réalité et sur le plus fuyant des mystères, qui est le temps. » [1]
 
Quoi ? L'éternité, titre curieux dirait-on, s'il n'était emprunté à Arthur Rimbaud, des vers tirés d'un poème du recueil « Une saison en enfer ».
 

« Elle est retrouvée.
Quoi ? - L'Eternité.
C'est la mer allée
Avec le soleil. »

 

A travers ces quelques vers, Arthur Rimbaud fait-il allusion au temps qui s’égrène et s’étire indéfiniment ou à une éternité censée représenter l’immortalité de l’âme, question à rapprocher de ce qu’elle écrit d’une porte entrouverte entre la réalité concrète et cet insaisissable qu’est le temps, « la réalité n’étant que la même chose autrement, » éléments  qui se rapprochent sans se confondre « comme ceux du diamètre d’un cercle avec sa circonférence. » (pages 62-63 de l’édition de poche) 

 

Jeanne de Vietinghoff (à droite) et Fernande de Crayencour (à gauche)
Sa mère Fernande à droite et au centre son amie Jeanne

 

Dans ce troisième volet de sa suite biographique Le Labyrinthe du monde, il est encore beaucoup question de son père , des relations avec Michel, des relations avec Noémi sa terrible mère, l'affreuse châtelaine du Mont-Noir, de ses amours avec sa mère Fernande, avec Jeanne, dont le mari servira de modèle à Alexis son premier roman, Liane aussi, et bien d'autres.
 
Plus qu'une autobiographie, son récit est surtout la biographie familiale d'un groupe pris entre France et Belgique, où la jeune Marguerite apparaît bien peu, où la chronologie et les paysages qu'elle décrit dépendent de ses souvenirs et de ce qu'on a pu lui raconter de la vie de sa famille à un moment ou à un autre.

 

             
La trilogie en édition de poche

 
Comme dans les deux tomes précédents, Marguerite Yourcenar présente sans grande complaisance le tableau qu'elle brosse de la "bonne société " dont elle est issue, du début du XXème siècle, ce récit inachevé se terminant un peu avant la fin de la Grande Guerre.
Il est surtout centré sur les relations entre Jeanne et Michel , le père de Marguerite. Jeanne, séduite par le côté "artiste" semble-t-il, épouse Egon de Reval , un jeune pianiste balte . Michel est alors un jeune veuf, Fernande étant morte peu après la naissance de Marguerite.
 
       
Son épitaphe dans son "éternité" : « Plaise à Celui qui Est peut-être de dilater le cœur de l'homme à la mesure de toute la vie. » (tirée de L'Œuvre au noir)
 
Michel s'intéresse tant à Jeanne qu'il devient rapidement son amant . On assiste à un véritable chassé-croisé entre ce trio, Jeanne ayant beaucoup de mal à choisir entre les deux hommes et finira par rester avec son mari Egon. Mais cette vie a une influence néfaste sur Egon qui devient de plus en plus violent et se lance dans une aventure homosexuelle . Michel a d'autres aventures sans lendemain, jouant les Don Juan et menant une existence d'aristocrate oisif vivant dans le luxe, dernier représentant de cette génération de privilégiés que la Grande Guerre a fait disparaître . Il n'a aucun goût pour les affaires et se repose sur l'immense fortune héritée de sa mère,  qu'il dilapide sans façon. Michel son père, restera alors un homme seul, sans grand soutien familial, plutôt éloigné des gens de son village. Dans ce milieu, écrit-elle, « les mœurs comptent plus que les lois et les conventions plus que les mœurs
 
Ses relations avec le fils qu'il a eu avec sa première femme Berthe sont très mauvaises et il s'occupe peu de sa fille Marguerite qui, à cette époque, vit dans le luxe mais dans une grande solitude. La Grande Guerre va venir bouleverser ce curieux équilibre, les obliger à s'exiler en Angleterre. Finie la belle vie entre Lille, la Belgique et la côte flamande, finies les escapades à Paris et sur la Côte d'Azur, en Angleterre ils vont connaître pour la première fois une existence difficile qu'ils soupçonnaient à peine.
 
Marguerite Yourcenar traduit, à travers ses premiers émois homosexuels avec une servante qui la repousse, sa relation précoce avec un homme de sa famille ou avec Yolande une jeune employée, une liberté de  mœurs et de ton très décalée dans son milieu et dans son époque. Expériences dont  elle évoque « les désirs ressentis et satisfaits... intermittence des sens » comme Proust parlait de « l'intermittence des sentiments. » [2]
 
Ce troisième tome marque ses Mémoires inachevées qu'elle pressentait sans doute déjà dans le tome II "Archives du Nord", où elle écrivait : « Si le temps et l'énergie m'en sont donnés, peut-être continuerai-je jusqu'en 1914, jusqu'en 1939, jusqu'au moment où la plume me tombera des mains
 
Citations et commentaires
* « Il faut jusqu'à un certain point ressembler aux gens pour pouvoir essayer de les changer. » page 20
* « La mémoire en dit toujours trop ou trop peu. » page 152
* « Il s'établit vite la distinction entre ceux pour qui Dieu est l'UN tout court et ceux pour lesquels l'UN n'est qu'une manifestation comme une autre entre le RIEN et le TOUT. » p207
* « Je sais que notre destruction de la nature justifie celle de l'homme. » p 263
* « Les Turner de la Tate Gallery transformaient à mon insu mon idée du monde. » p 268
 
 
 
Notes et références
[1] Elle ajoute que « les rapports que nous entretenons avec ces deux notions sont à la fois infiniment rapprochés et jamais susceptibles d'une solution adéquate.»
[2] Elle écrit aussi à ce propos : « Il y a des gouffres charnels comme des gouffres spirituels, avec leurs vertiges, leurs délices leurs supplices aussi, que connaissent seuls ceux qui ont osé s'y enfoncer. » p 308
 
Voir aussi
* Marguerite Yourcenar et la famille Vietinghoff
 
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07/03/2014
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