Roissiat Culture & littérature

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Herta Müller

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Herta Müller dans les années quatre-vingt

 

Herta Müller fait partie de ces écrivains écartelés par l’histoire, issue d’une famille vivant dans cette nébuleuse de peuples qu’était alors l’Autriche-Hongrie, née en août 1953 dans la Roumanie de Nicolae Ceaușescu. Une vie, une biographie qui colle à sa plume comme autant de douleurs intériorisées qui resurgissent dans ses livres, des images d’une époque de soubresauts, pas vraiment tendre pour les pauvres européens, surtout ceux de l’Est. 

 

Ses œuvres, taillées dans un style très direct qui n’en dégage pas moins une certaine poésie, expriment la violence contre les faibles, les effets de l’injustice, cette peur diffuse d’être toujours surveillé et sur qui la terreur de la dictature peut s’abattre à tout moment. A quoi s’ajoute cette formule du  jury du  prix Nobel de littérature qu’elle reçoit en 2009, qui met l’accent sur « la concentration de la poésie et l'objectivité de la prose, dépeignant les paysages de l'abandon. » [1]

 

Herta Müller est ce qu’on appelle une souabe du Banat, [2] région rattachée à la Roumanie après la fin de l’Autriche-Hongrie, membre de la minorité germanophone. Son grand-père fut un riche fermier et homme d'affaires exproprié par les communistes. Ses parents ne furent pas mieux lotis, une mère déportée plusieurs années au Goulag en 1945, un père ex soldat de la Waffen-SS, gagnant sa vie comme chauffeur de camion.

 

La jeune Herta fait des études littéraires à l’université de Timişoara puis à partir de 1976 est traductrice dans une usine mais refuse de coopérer avec la Securitate, la police secrète romaine. Elle fait alors des petits boulots et milite dans un groupe dissident l’Aktionsgruppe Banat et le cercle littéraire de Timişoara, l’Adam Müller-Guttenbrunn. Elle est très tôt confrontée à l’importance du langage, les langues minoritaires haut-allemand et souabe confrontées au roumain officiel et au langage dominant véhiculé par le pouvoir politique, « d'où notre vigilance pour éviter les mots ou les concepts violés ou souillés par le politique » précise-t-elle.

 

Le régime communiste censure tous ses ouvrages qui seront ensuite publiés en Allemagne de l’Ouest ; elle est alors interdite de parution dans son pays. En 1987, elle est contrainte d’émigrer en République fédérale avec son mari, l’écrivain Richard Wagner, continuant son combat contre la dictature, refusant de condamner l’intervention américaine en Irak en 2003 mais s’élevant contre l’attribution du prix Nobel à l’écrivain chinois Mo Yan, accusé d’être trop laxiste envers l’état chinois. Dans le même esprit, elle condamnera des intellectuels anciens informateurs de la Securitate. [3] Elle contre attaque en accusant l’état roumain de ne s’être toujours pas débarrassé des méthodes et mauvaises habitudes des communistes [4] et de tout faire pour la calomnier, la dévaloriser aux yeux des autres.

 

Nobel Laureate Herta Müller in conversation with Dr Johann Deisenhofer
Lors du prix Nobel en décembre 2009 avec Johann Deisenhofer, prix Nobel de chimie

 

Deux traumatismes traversent ainsi son œuvre. D'abord, le terrible parcours des Allemands de Roumanie pendant la seconde guerre mondiale, leur déportation dans les camps soviétiques et ce refoulement, ce non-dit régnant dans le village, que lui a légué sa famille et sa mère en particulier. Puis la dictature stalinienne en Roumanie, qu'elle vécut comme une déchirure, qu'elle évoque dans des romans tels que Niederungen, récit acide du quotidien d’une famille dans un village de son Banat natal ou Heute wäre ich mir lieber nicht begegnet (la convocation), dans lequel une ouvrière d’usine est persécutée, soumise à des interrogatoires par un policier qui manie à merveille un cynisme hautain pour mieux l'humilier et la briser.

 

En complément : l’univers et les romans de Herta Müller

La plupart de ses ouvrages sont centrées sur l’histoire roumaine de l’époque communiste et les sombres épisodes qui l’ont marquée, sa volonté de faire revivre et de dénoncer les errements de la dictature de Ceauşescu.

Le jury du prix Nobel lui reconnaît un style cursif et éloquent fait « d’images ciselées, » son art pour donner « une image de la vie quotidienne dans une dictature pétrifiée, la richesse de ses tableaux, la profusion de ses descriptions mélangeant animaux, végétaux, fruits et paysages.  

 

On peut y voir aussi l’influence de l’œuvre de Franz Kafka et de ses situations absurdes. Sa connaissance de l’Allemand et du Roumain lui a permis d’avoir une approche linguistique singulière, de saisir à travers les différences des  mots et des expressions, la réalité plus profonde de mondes différents, ce qui en dit long sur les difficultés de traduction auxquelles Milan Kundera avait déjà été confronté, réécrivant la plupart de ses livres en français après son exil.

 

Son roman Drückender Tango qui date de 1984, peint violence et corruption dans un village dont la minorité allemande se sent toujours proche du fascisme. Dans Der Mensch ist ein grosser Fasan auf der Welt (L’homme est un grand faisan sur terre, 1987), elle prend pour sujet la vie déchirante d’un meunier et de sa famille, un homme qui souhaite changer de métier et victime des menaces policière et des manœuvres de l’administration. Avec Reisende auf einem Bein, en 1989, on suit l’installation en Allemagne d’un nommé Müller, la difficile rupture d’un exilé, mêlée au soulagement d’une vie libre et la joie de pouvoir de nouveau pratiquer sa langue d’origine.

 

Dans Der Fuchs war damals schon der Jäger (Le Renard était déjà le chasseur, 1992) elle décrit la vie d'une enseignante confrontée aux manigances de la police politique la Securitate qui a placé son appartement sous surveillance, tandis que dans Herztier (Animal du cœur) en 1993, elle aborde le cas d’étudiants roumains qui se pose des questions sur leur propre devenir et celui de leur pays miné par le régime communiste et que dans Heute wär ich mir lieber nicht begegnet (La Convocation, 1997) elle aborde l’existence d’une femme traumatisée par les interrogatoires policiers.

 

 Avec Atomschaukel (La Bascule du souffle, 2009), elle s’est servie de l’expérience de son ami, le poète Oskar Pastior et de celle de sa propre mère pour dessiner le portrait d’un jeune homme, exemplaire de la situation des Allemands de Transylvanie après la Seconde Guerre mondiale, qui connaît les affres du Goulag et de la faim qui modifie sa perception de la réalité.

 

Notes et références

 [1] Ce qui suscitera une polémique avec l’écrivain Carl Gibson originaire du Banat, qui l’attaque sur ses relations passées avec le régime de Ceauşescu.

[2] Elle est née dans le village de Nitzkydorf, appelé aujourd’hui Niţchidorf

[3] Article paru dans l'hebdomadaire Die Zeit du 23 juillet 2009 intitulé « La Securitate est toujours en service »

[4] Herta Müller est, sur la décennie 1999-2009, le troisième auteur germanophone à obtenir le prix Nobel de littérature après Günter Grass et Elfriede Jelinek.

 

Bibliographie

* "L'Homme est un grand faisan sur terre", éditions Maren Sell, 1991 et Folio, 1997, traduction de Nicole Bary 

* "Le renard était déjà le chasseur", éditions  Le Seuil, 1996, traduction Claire de Oliveira

* "La Convocation", éditions Métailié, 2001, traduction Claire de Oliveira

* "La bascule du souffle", éditions Gallimard

 

                    
Herta Müller à Leipzig en 2007    Herta Müller en septembre 2009

 

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02/03/2014
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